«Vous couchez avec nous, vous votez contre nous»

Venues de toute la France, elles s’insurgent contre le projet de loi de Nicolas Sarkozy qui prévoit de punir de six mois de prison et 7.500 euros d’amende le racolage passif. Plus qu’une menace, ce texte signifie selon elles la fin de la prostitution. Ces prostituées «traditionnelles», qui affichent leur différence avec les filles prises dans les réseaux de proxénétisme, assument ce métier qu’elles veulent continuer à exercer. Paroles.

Carole, 44 ans: «Je n’ai jamais connu les macs»
Les mèches blondes de Carole encerclent le masque qui cache le haut de son visage. Dans un large sourire, elle lâche d’une voix teintée du midi: «Vous ne voyez pas que je suis bien dans ma peau». Les débuts n’ont pas été faciles, concède-t-elle, mais depuis une quinzaine d’années, cette femme de 44 ans assume parfaitement: «si je suis masquée, c’est uniquement pour que ma fille ne me reconnaisse pas. Mais je n’ai pas honte de ce que je fais. C’est devenu mon job, je travaille en indépendante, quand je veux, comme je veux et avec qui je veux».

Diplôme d’auxiliaire troisième âge obtenu «avec mention bien» après six ans passés chez les bonnes soeurs, à 18 ans Carole passait d’un petit boulot à l’autre. Une amie lui a proposé de se prostituer. «J’ai accepté, raconte-t-elle, c’est comme ça que j’ai quitté le bar et les boîtes où je travaillais». «Toujours au noir, dit-elle en riant. Au fond, rien n’a changé».

Pour Carole, la liberté «ça n’a pas de prix» et ça rapporte: 3.000 euros par mois environ pour deux à trois heures passées chaque jour au bois de Vincennes. A la même place depuis 13 ans, elle a ses habitudes et ses habitués. «Les filles de l’est ou les filles de couleur qui sont obligées de faire le trottoir sont malheureuses. Nous, ça n’a rien à voir». Les réseaux, les «macs»? «J’ai jamais connu», jure-t-elle.

Béatrice 35 ans: «Nous sommes des femmes libres»
Avec ses boucles en perles, son chapeau, ses lunettes noires et son petit blouson vert, Béatrice, c’est la prostituée au look de bourge. «Epanouie» et fière de ses choix: «A mon âge, je sais prendre des décisions. J’ai décidé de vivre décemment grâce à ce métier, j’assume très bien». La preuve, elle est l’une des rares à défiler à visage découvert. Son métier, elle en parle un peu comme un chef d’entreprise. Fidèle à ses clients: «on a des rapports humains avec nos habitués, ce n’est pas qu’une relation sexuelle». Attentive au soin de ses locaux: «nous travaillons dans des studios où nous veillons à l’hygiène. Il n’y a pas de sida chez nous». Fière d’apporter son tribut à la société: «moi, je paie des impôts».

Si Béatrice veut continuer à «exercer», elle assure qu’il ne faut rien changer au statut des travailleuses. Le retour de bordels? «Pas question, dit-elle, nous sommes des femmes libres et décidées à le rester». Son leitmotiv: ni «mac», ni patron et «tout ira bien».

Hinano, 24 ans: «au lieu de nous criminaliser, on ferait mieux de nous protéger»

«Laissez-moi faire la pute», hurle Hinano. Elle en rajoute mais «ça fait partie du job», clame-t-elle. A 24 ans, cette transsexuelle d’origine haïtienne qui «tapine» au bois a conscience de faire «un métier à haut risque». Elle parle des agressions, des hommes qui viennent «nous proposer leur protection même si ce n’est pas bien méchant et qu’il suffit de les repousser» ou de ceux qui «veulent nous piquer notre pognon». Elle enrage: «au lieu de nous criminaliser, on ferait mieux de nous protéger».

Le quotidien d’Hinano n’a rien de celui d’une call girl. Des passes derrière les arbres, dans les voitures parfois. Pourtant, la fille assure «qu’il lui arrive de passer des bons moments». Surtout, elle se réjouit de l’accueil qu’elle a trouvé auprès de sa deuxième famille, celle des travailleurs du sexe qui l’ont recueillie quand les siens l’ont lâchée. «Quand on est physiquement différent ou sexuellement différent, je ne sais pas trop, la famille vous rejette et puis c’est difficile de trouver du travail». Alors Hinano a atterri sur le trottoir pour se payer ses opérations, puis elle a fui son pays. Direction la France et très vite, le «bois». «C’est mondialement connu, même à Haïti. Il n’y a pas besoin de réseau».

A l’aise au bois, Hinano estime qu’il y a une vie à côté de la prostitution. Alors elle a repris ses études arrêtées en première. Au programme: anglais et espagnol dans l’espoir de voyager et, «qui sait», de trouver un bon job «avec des fiches de paie». Son rêve ? Devenir assistante de direction. Elle éclate de rire: «secrétaire particulière, quoi».

Marie Amélie, 45 ans: «un homme frustré peut devenir dangereux, il faut se méfier»
Pour l’occasion, Marie-Amélie arbore un masque de fête noir à volant. Un ruban tricolore ceinture son cou. «Je suis française, pas une sans-papiers», lâche la dame de joie. La «cour de miracles», comme elle nomme la rue Saint-Denis, Marie-Amélie l’arpente depuis 20 ans. Propriétaire de son studio, aime-t-elle rappeler, c’est le type même de la prostituée «à l’ancienne», un peu mère maquerelle, un peu grand mère excentrique avec ses grosses boucles blondes, son visage maquillé à outrance et un embonpoint parfaitement assumé.

«Je suis dehors avec une minijupe et un manteau long mais je ne m’exhibe pas», corrige-t-elle à l’adresse de ceux qui veulent «criminaliser le racolage». Elle se demande ce que vont devenir les filles comme elle si le projet de loi sur la sécurité intérieure est voté, s’inquiète du manque à gagner, mais aussi du devenir de ses clients: «Certains hommes ont besoin de nous. Où vont aller ceux qui ne plaisent pas aux femmes. Un homme frustré peut devenir dangereux, il faut se méfier».

Auteur de l’article : comitedentreprise.com