La loi sur la justice alarme les syndicats et les associations

« Justice de masse répressive et expéditive », « volonté politique d’affichage », « logique de pénalisation »: obtenu à marche forcée, samedi 3 août, en plein creux des vacances, le vote par l’Assemblée nationale de la loi d’orientation et de programmation sur la justice a sorti de leur trêve estivale nombre de syndicats et d’organisations de défense des droits de l’homme.

Dès la présentation du projet devant les députés, Dominique Perben, avait énoncé la volonté du gouvernement de répondre au message du 21 avril et aux préoccupations des Français les « plus modestes » et les « plus fragiles ». Pour le garde des sceaux, ce texte est un « pilier » de la lutte contre l’insécurité, pour réformer en profondeur la procédure pénale et muscler l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante. Les députés de la majorité ont encore durci la loi et donné l’impression de s’intéresser en priorité aux jeunes de banlieue, avec des amendements suspendant les allocations familiales pour les mineurs placés en centre éducatif fermé et punissant de six mois d’emprisonnement l’outrage à enseignant (Le Monde daté 4-5 août). « Il faut montrer que nous avons compris l’appel désespéré des Français », souligne Pascal Clément (UMP-DL), président de la commission des lois.

Certains professionnels de la justice dénoncent un calcul purement politicien. « On est dans une logique de précipitation et d’affichage qui répond à une volonté politique plus qu’à une recherche d’efficacité de la justice, déplore Philip Cohen, conseiller du bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris. Beaucoup s’interrogent sur l’intérêt de certaines dispositions et sur leur mise en oeuvre. On risque des grands couacs de procédure. »Plusieurs mesures semblent même bousculer certains principes juridiques. La loi sur la justice étend ainsi la possibilité du témoignage anonyme aux délits punis de trois ans d’emprisonnement, la très grande majorité des faits réprimés dans le code pénal. Cette mesure avait été introduite, de manière dérogatoire, par la loi sur la sécurité quotidienne du 15 novembre 2001, amendée après les attentats du 11 septembre pour lutter contre le terrorisme. Inspiré de procédures étrangères, comme celle des Etats-Unis, pour lutter notamment contre la criminalité organisée, un dispositif dit de « protection des témoins » avait été instauré pour garantir l’anonymat aux personnes dont la vie pouvait être mise en danger par leur témoignage. Le texte limitait cette possibilité aux crimes et aux délits graves punis de cinq ans de prison.

Destiné à briser la loi du silence et à contourner la peur des représailles en particulier dans les cités, la quasi-généralisation de cette mesure a suscité l’opposition d’une partie des députés de droite. « On fait le choix d’une société de dénonciation anonyme par des personnes qui agissent derrière leurs rideaux et non pas comme des citoyens responsables, estime, pour sa part, Me Cohen. Sur le plan de l’éthique, ce n’est pas acceptable. » Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l’homme (LDH), s’inquiète, lui aussi : « Contrairement à ce que prévoit la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, la loi généralise une pratique qui ne garantit pas les droits de la défense en empêchant les confrontations et les débats contradictoires avec les témoins. »

La LDH fustige, plus largement, une volonté répressive outrancière, orientée vers les classes sociales les plus défavorisées. « Les mesures prises visent une certaine population qui est stigmatisée, estime M. Tubiana. On est dans une logique de pénalisation et de guerre aux pauvres. En suspendant les allocations familiales, on va sanctionner des familles entières déjà précarisées. » Le Syndicat de la magistrature (SM, gauche) dénonce, de son côté, « une loi terriblement pénalisante pour tous ceux qui auront à faire à la justice, surtout s’ils sont mineurs ou habitants des quartiers populaires ». L’Union syndicale des magistrats (USM, modérée), porte un jugement plus nuancé sur la loi. « C’est un texte dans l’air du temps, où l’on cherche à rétablir un certain respect de l’autorité, constate Carole Mauduit, membre du bureau de l’USM. Dans la mesure où c’est très encadré et non systématique, la suspension des allocations familiales n’est pas complètement aberrante. »

« EFFETS PERVERS »

Depuis longtemps évoquée, cette mesure symbolique, censée responsabiliser les parents, est particulièrement critiquée par le milieu associatif. L’amendement n’est que le retour d’un « serpent de mer », déplore-t-on à l’Union nationale des associations familiales (UNAF), qui regroupe la quasi-totalité des associations familiales en France. Face à la délinquance des mineurs, l’idée de sanctionner financièrement les parents jugés défaillants a resurgi régulièrement depuis qu’en 1993 Pierre Cardo, député (UDF-DL) des Yvelines, s’y est déclaré, le premier, favorable. En 1995, 67 députés de droite envisageaient cette sanction contre « les parents d’enfants mineurs reconnus coupables d’actes de délinquance ». « C’est une mesure de facilité, qui reporte toute la responsabilité sur les familles alors qu’il s’agit d’une question de société, et qui aura des effets pervers, regrette Monique Sassier, directrice générale adjointe de l’UNAF. On prive les familles des moyens de rester en lien avec leur enfant ; on fait porter les conséquences de la délinquance d’un enfant sur les autres enfants de la famille. »

Les réactions d’hostilité dominent également à propos des six mois de prison prévus pour sanctionner l’outrage à enseignant, l’autre mesure de durcissement symbolique décidée par les députés. Mis à part le Syndicat national des lycées et collèges (SNALC-CSEN, minoritaire) qui salue un « retour au bon sens des pouvoirs publics et l’abandon d’une culture de l’excuse aussi pernicieuse que désuète », les syndicats enseignants désapprouvent cette disposition. Jusqu’à présent, le code pénal prévoyait, pour les professeurs, comme pour toute « personne chargée d’une mission de service public », une simple amende de 7 500 euros. Seuls les outrages à « personnes dépositaires de l’autorité publique », policiers et gendarmes, pouvaient être sanctionnés par de la prison. « Le fait d’aligner le statut des profs sur celui des policiers et des gendarmes, c’est dire que l’autorité du prof et celle du flic sont les mêmes, estime Jean-Marie Maillard, cosecrétaire général du SNES, principal syndicat du second degré. C’est un glissement de sens époustouflant, qui risque d’être contre-productif et de créer un raidissement chez les jeunes. »

Allocations : 64 % d’électeurs de Chirac pour les supprimer

Les résultats d’une enquête postélectorale, réalisée par la Sofres entre le 8 avril et le 28 juin, à partir d’un panel de 1 417 personnes (rendue publique le 11 juillet), montrent que 58 % des sondés se disent « tout à fait ou plutôt d’accord » avec la suppression des allocations familiales aux familles de mineurs délinquants, 42 % y sont opposés. Les électeurs de Jean-Marie Le Pen sont 82 % à se dire favorables à cette mesure, ainsi que 62 % des électeurs de Jean-Pierre Chevènement, 61 % des électeurs d’Arlette Laguiller et 64 % de ceux de Jacques Chirac. En revanche, 70 % des électeurs de Robert Hue et 70 % de ceux de Noël Mamère y sont hostiles. Ceux qui ont voté pour Lionel Jospin sont 58 % à manifester leurs réserves ainsi que 56 % des partisans du candidat de la LCR, Olivier Besancenot. 57 % des abstentionnistes approuveraient une telle décision.

source : www.lemonde.fr

Auteur de l’article : comitedentreprise.com