A La Roque-d'Anthéron, le piano fait vibrer les vieilles pierres

Au pied de la chaîne de la Trévaresse, face au prestigieux Lubéron, La Roque-d’Anthéron (Bouches- du-Rhône) aligne ses rues droites au-dessus du château de Florans.

Cette petite ville compte 4 500 âmes, elle en comptait 900 quand elle vivait de la cerise, dans les années 1950, sans se soucier du mince flux de touristes attirés par l’élégance de l’abbaye de Sylvacane. Elle reçoit aujourd’hui des centaines de patients en cure diététique, de rééducation ou en retraite dans ses huit établissements de santé.

Même si pendant les soirées d’été les deux restaurants et les 32 chambres d’hôtel sont occupées entre juin et septembre, la tranquillité règne autour du château et de son parc aux 365 platanes, cette « cathédrale de verdure » qui sert de cadre au Festival international de piano (FIP).

En effet, depuis 1981, La Roque s’est bâti une renommée internationale grâce aux claviers. Ainsi, chaque année, à partir du 20 juillet, les mélomanes arrivent à la nuit tombante pour goûter la fraîcheur du parc de Florans. Ils découvrent le privilège de s’allonger sur l’herbe verte et d’entendre le soliste répéter dans un préfabriqué qui lui sert de loge.

A l’entracte, ces amateurs boivent un verre servi par l’un des nombreux bénévoles qui s’affairent derrière la buvette, en tentant d’oublier l’odeur des crèmes antimoustiques. Leur bonheur est parfait quand une cigale insomniaque vient mêler sa stridulation aux mélodies nocturnes. Malgré cette affluence 70 000 personnes sont attendues cette année, contre 27 000 en 1994 , les rues du village restent calmes. Même quand les spectateurs se restaurent dans l’un des bistrots qui ont, en cette période, l’autorisation de servir jusqu’à 3 heures du matin.

Les villageois profitent directement de ce mois musical : les deux hôtels et la trentaine de logements chez l’habitant affichent complet, comme les deux campings. La poste reçoit un peu plus de visites, même si c’est en mai, lors de l’envoi des 160 000 programmes, que le bureau centralisateur d’Aix-en-Provence a le plus de travail. Le responsable d’une des deux agences immobilières constate de son côté que l’afflux des festivaliers aide à faire connaître le village, apprécié pour son élégance et sa proximité des grands centres urbains d’Aix et d’Avignon.

Au plus fort moment de son activité, le festival emploie 40 salariés, logés et nourris sur place. Et les Roquassiers sont à peu près tous invités à assister gratuitement à un concert, même si peu d’entre eux saisissent l’aubaine. Villes et villages avoisinants bénéficient eux aussi des retombées du FIP. Les musiciens et les festivaliers sont logés dans le Lubéron et jusqu’à Aix ou Marignane, le parc local étant insuffisant. Les déplacements sont pris en charge par une société de cars basée dans le village voisin de Charleval et un traiteur de Lambesc, chef-lieu du canton, sert 600 repas en trente-cinq minutes lors des longues nuits du piano consacrées à un grand maître. Des vigiles venus de Cavaillon assurent le gardiennage autour du parking de 600 voitures.

Le festival essaime dans tout le département. Un accord avec le conseil général, qui le subventionne à hauteur de 2,5 millions de francs (380 000 euros) sur les 14 millions (2,13 millions d’euros) de son budget, stipule qu’il doit offrir douze concerts à l’institution départementale, qui utilise à cette occasion les magnifiques sites dont elle dispose, comme l’étang des Aulnes, dans la Crau, ou le château d’Avignon, en Camargue. L’effort principal des conseillers généraux consiste à essayer d’allonger les séjours des festivaliers en les persuadant de rester dans ce département où les soirées de plein air sont rarement annulées par les pluies.

Mais ce festival que fréquentent, chaque année, 100 Américains et nombre d’amateurs venus d’Europe est aussi l’objet de petites querelles locales. Il est présidé depuis sa création par l’infatigable octogénaire Paul Onoratini, propriétaire de la clinique installée dans le château de Florans et qui possède d’autres maisons de santé. M. Onoratini fut aussi maire de La Roque et conseiller général du canton, avant de passer la main en 1989 à un successeur dévoué, salarié d’un de ses établissements.

DE MILAN À HONOLULU

Autant dire que l’énergique entrepreneur, à la réputation autoritaire, disposait de nombreux pouvoirs. Certains en prirent ombrage, lui reprochant de mêler les genres public et privé, et de régner sans partage. Manquant de charisme, son successeur fut battu en 1995 par une liste municipale, panachée de gauche et de droite, qui fut reconduite en 2001.

Les rapports entre le maire d’aujourd’hui, Jean-Louis Turcan, médecin, et l’omnipotent M. Onoratini sont devenus un peu orageux, même si on laisse accroire à l’interlocuteur venu d’ailleurs que la cohabitation est aussi harmonieuse qu’un accord parfait. Evidemment, la mairie reconnaît « l’image promotionnelle incontestable » offerte au village par le FIP, à qui elle consacre 1 % de son budget. Mais on la sent agacée quand elle rappelle que « les données enregistrées ne signent pas de rôle majeur du FIP dans le tourisme local », que « les estivants en séjour dans les campings ne sont pas des festivaliers » et que « la plus grande majorité des festivaliers entrent dans la commune un peu avant les concerts puis en repartent la manifestation terminée ».

Autant de pierres dans le parc de Florans, que M. Onoratini préfère ne pas relever. Pour lui, l’affaire est plus simple : il omet à peu près de mentionner la municipalité actuelle quand il retrace l’historique de son festival, né en 1981 du désir artistique d’un de ses fils trop tôt disparu et de sa volonté d’avoir, en ces lieux splendides, « un truc international ».

Ces chicayas n’ont, après tout, qu’une importance relative : le nom de La Roque-d’Anthéron, qui vient probablement de la présence d’une tour du seigneur Tarron, érigée au Xe siècle sur un rocher qui surplombe le village, est connu de Milan à Londres et de Berlin à Bruxelles, commence à l’être en Australie, et le deviendra à Honolulu, en octobre, à l’occasion du Salon international du tourisme. Les mélomanes de là-bas et d’ici se soucient probablement comme d’une guigne des petits grincements qui résonnent parfois dans le joli village.

SOIXANTE-HUIT CONCERTS EN PLEIN AIR

Le 22e Festival international de piano (FIP) de La Roque-d’Anthéron se tient, du 20 juillet au 22 août, dans huit lieux différents, le principal étant le parc du château de Florans, au coeur du village.

Programme : 68 concerts, dont des nuits du piano Liszt, Beethoven, Messiaen, Brahms et Schumann, Ravel, Chopin, Schubert, de la musique russe et tchèque et à quatre mains, ainsi qu’une nuit du piano jazz avec Leonid Chizhik et Abdullah Ibrahim (Dollar Brand). On peut réserver un plateau-repas avec les billets qui coûtent entre 17 et 45 euros. Le FIP organise aussi, en partenariat avec le conseil général, des concerts gratuits sur la route de la Durance aux Alpilles (Mouriès, Fontvieille, Rognes, Saint-Martin- de-Crau, Orgon, etc.)

Autres curiosités : l’abbaye de Sylvacane, joyau cistercien, dans laquelle se déroulent aussi des concerts. Et, au milieu du village, le petit musée d’archéologie et de recherche vaudoise.

Pour s’y rendre : par autoroute, en venant de Nice, Toulon ou Marseille : quitter l’autoroute à Aix-en-Provence, prendre la N 7 vers Avignon, puis le CD 543 pour Rognes puis La Roque. Par avion : aéroport Marseille-Provence. Par TGV : gares d’Aix ou d’Avignon. Parking gardé près du parc.

Renseignements : FIP : tél. : 04-42-50-51-15. Internet : e-mail : info@festival-piano.com. Office du tourisme : Tél. : 04-42-50-58-63. Fax : 04-42-50-59-81. e-mail : omt@ville.la-roque-d-antheron.fr

source : www.lemonde.fr

Auteur de l’article : comitedentreprise.com