La loi de modernisation sociale n'a pas freiné les restructurations

A peine mise en oeuvre, après la parution d’ultimes décrets entre les deux tours de l’élection présidentielle, la loi de modernisation sociale risque bien d’être remise en question.

Tout au moins la partie la plus controversée de ce texte, qui concerne l’allongement des procédures de licenciement collectif renforcées après les restructurations de Danone et de Marks & Spencer, groupes pourtant bénéficiaires, au printemps 2001. Avant de s’attaquer à une des lois les plus symboliques adoptée par la gauche plurielle, le nouveau gouvernement n’a encore défini ni la méthode ni le contenu de ses propositions.

Sans évoquer explicitement la réforme d’une loi que le Medef appelle de ses voeux, le président de la République, dans son intervention du 14 juillet, a rappelé la nécessité pour l’Etat « d’intervenir massivement pour apporter des solutions lorsqu’il y a des plans sociaux ou des fermetures », notamment en faveur des salariés des petites et moyennes entreprises. Jacques Chirac a ainsi apporté un net soutien à François Fillon, le ministre des affaires sociales – qui se propose de créer une task force (groupe de travail) destinée à coordonner l’action des pouvoirs publics -, contre Francis Mer, le ministre de l’économie, pour lequel « les licenciements sont l’affaire des patrons » (Le Monde du 13 juillet).

La crainte d’une dégradation de l’emploi, avec une recrudescence des plans sociaux, est un réel sujet d’inquiétude pour la rentrée de septembre. Les organisations syndicales ne manquent pas de rappeler que 85 % des licenciements économiques sont prononcés en dehors des procédures collectives et que les premiers concernés sont les jeunes et les salariés en situation de précarité. Pour contourner les obligations de la loi, nombre d’entreprises ont eu tendance à multiplier les licenciements individuels fortement indemnisés.

Même dans le cas de procédures collectives strictement encadrées par la loi, « c’est toujours le patron qui décide en dernier ressort », confirme Michel Huc, secrétaire général de la Fédération de métaux de Force ouvrière, pour qui « simplifier les procédures n’est pas l’essentiel. L’important est d’apporter des solutions concrètes pour l’emploi et que personne ne se retrouve au chômage ».

Avec la loi de modernisation sociale, les pouvoirs des comités d’entreprise ont été considérablement élargis. Avant d’abORDER les mesures sociales de reclassement des salariés dans un « plan de sauvegarde de l’emploi », ils ont la possibilité de contester le fondement économique des restructurations envisagées par un processus permanent d’information et de consultation en faisant appel à des experts.

Pour retarder l’échéance, la plupart des représentants syndicaux n’hésitent plus à saisir la justice, dont la jurisprudence sur la « réalité économique des licenciements » s’est considérablement renforcée. Dernier exemple en date, le tribunal de grande instance de Lyon a annulé, vendredi 12 juillet, le projet de délocalisation en Tunisie de l’usine de sous-vêtements Lejaby, présenté par le groupe américain Warnaco, et qui devrait se traduire par la suppression de 231 emplois. Initialement, l’allongement des délais de mise en oeuvre d’un plan social – de six à sept mois minimum entre son annonce et sa réalisation – avait été conçu pour permettre aux représentants des salariés d’étudier et de proposer des solutions alternatives aux licenciements et aux fermetures d’usines. Ce temps supplémentaire devait aussi être mis à profit pour améliorer les conditions de reclassement des salariés ou obliger les entreprises à prévoir des mesures de réindustrialisation des sites ou des bassins d’emplois.

La loi avait aussi prévu le recours à un médiateur en cas de désaccord entre la direction et les syndicats. Cette disposition est d’ores et déjà annulée après le refus exprimé par l’actuel ministre du travail de publier l’arrêté d’application correspondant.

Plusieurs conflits récents illustrent les limites de la méthode. La direction du groupe Pechiney s’est ainsi heurtée à une résistance acharnée des syndicats qui, pendant près d’un an, ont refusé par tous les moyens la fermeture de l’unité de Marignac (Haute-Garonne). Durant cette période, avec le cabinet Secafi, ils ont arraché la création d’une activité expérimentale de substitution, dans le traitement des déchets du magnésium, qui ne permettra de sauver qu’une trentaine d’emplois sur les 190 salariés concernés. Au final, le groupe aura dû investir près de 15 millions d’euros, soit 76 000 euros par salarié. A Etrelles (Ille-et-Vilaine), les salariés de l’unité de téléphonie Mitsubishi tentent, eux, de s’opposer depuis cinq mois à un plan de restructuration et de délocalisation de la production en Chine, qui menace 740 emplois sur un effectif total de 1 065 salariés. « Nous nous heurtons au blocage de la direction qui se refuse à examiner nos propositions », souligne Alain Thezé, délégué CGC au nom de l’Intersyndicale qui a engagé une procédure auprès du tribunal de Nanterre pour l’obliger à étudier un contre-plan élaboré avec le cabinet Syndex.

« En théorie, la loi nous donne du pouvoir et du temps pour proposer des alternatives », précise-t-il. Cette période d’incertitudes peut aussi être source de lassitude et de démobilisation pour des salariés qui doivent attendre la fin de ce délai avant de se prononcer sur les propositions de reclassement. Pour accélérer le processus d’accompagnement social et obtenir une amélioration financière du plan, les syndicats de Mitsubishi ont fini par accepter de signer un « accord de méthode ». Cette procédure, parallèle au processus légal, devrait être aussi mise en oeuvre pour la fusion des unités françaises des constructeurs informatiques HP et Compaq, qui doit se traduire par la suppression de 1 400 emplois sur 6 500.

Rose-Marie Van Lerberghe, du cabinet Altedia, voit dans cette formule une piste de réforme de la loi de modernisation sociale, qui ne s’appliquerait qu’en l’absence d’accord majoritaire dûment signé dans l’entreprise. Pour les syndicats, le plus urgent n’est sûrement pas de réformer les procédures, mais bien de se concentrer sur la nécessité « d’une réelle transparence pour que les salariés soient consultés, bien en amont, sur l’évolution des entreprises et la nature des objectifs de reclassement pour parvenir au zéro chômeur », affirme la CFDT. Une façon de prévenir de nouvelles catastrophes sociales, comme celles de Moulinex ou de Bata, dont les mesures de reclassement tardent à se concrétiser.

source : www.lemonde.fr

Auteur de l’article : comitedentreprise.com