COMITE D'ENTREPRISE

Le patron livre ses employés sans papiers

Un guet-apens, en fait, monté par la police et leur employeur. Fin octobre 2002, la Direction de la police générale envoie à la PJ une liste de sans-papiers travaillant chez PSI, une société parisienne de gardiennage. Une liste qu’elle tient du gérant de l’entreprise lui-même. A l’automne dernier, Alain Plichon aurait soudainement découvert l’irrégularité de la situation de ses employés. Au moment où certains d’entre eux commençaient à réclamer des augmentations. Les plus anciens envisageaient de faire valoir leurs droits aux congés payés. «Plichon a fini par le savoir», confie un ex-collègue qui préfère garder l’anonymat. «On a été grugés», avance Chantal Plichon, cogérante de PSI, contactée par Libération. Elle se refuse à tout autre commentaire. «Je les ai pris parce que c’étaient de bons agents», a déclaré à la police son mari, Alain Plichon, se défendant d’avoir eu connaissance de leur situation irrégulière. En tout cas, c’est à vingt-neuf reprises au moins que la société PSI a été «grugée».ÊEn effet, ce sont vingt-neuf noms que le responsable de PSI a envoyés à la police. Et mardi, dix d’entre eux ont été interpellés.

«Surprise du siècle.» Ce jour-là, les dix vigiles sont convoqués par leur employeur à l’agence du Blanc-Mesnil. «Un vrai traquenard», estime Me Marie-Anne Ballanger, leur avocate. Ladji, à l’instar de ses collègues, ne se doute de rien. Fort de onze mois d’expérience, il fait déjà figure d’ancien. Il pense à «une mutation sur un nouveau site. Une sorte de promotion».

Au parloir du centre de rétention de Vincennes, il raconte : «Monsieur Plichon nous a dit de nous asseoir. On plaisantait, on fumait. Il m’a même tapé sur l’épaule, en me promettant « la surprise du siècle ». Puis son visage s’est fermé, et il a annoncé que nous étions virés, que nous ne toucherions pas la paye du mois de janvier. Et là, une trentaine de policiers en civil sont entrés.» Ladji poursuit : «Ils avaient des dossiers sous le bras, avec nos noms, nos fiches de paye, nos contrats. On a été cueillis dans le calme : de toute façon, on était piégés, on ne pouvait pas nier l’évidence.» Garde à vue, arrêtés de reconduite à la frontière. Depuis, cinq d’entre eux ont été libérés pour vice de procédure, ou assignés à résidence. Cinq autres demeurent retenus, dans l’attente d’une expulsion, après épuisement des derniers recours et si leur consulat délivre les laissez-passer.

Cotisations. Ladji et ses neuf compagnons, âgés de 23 à 29 ans, ont été embauchés par PSI entre octobre 2001 et mai 2002. Avec des faux papiers, mais sous leurs vrais noms, «pour obtenir des vraies fiches de paye». Dans l’espoir, plus tard, d’une régularisation. «Le bruit courait que PSI recrutait, même avec des faux papiers», assure Ladji qui se souvient du rendez-vous, il y a un an : «Je suis allé voir Plichon. On a discuté, et il m’a dit que mon profil correspondait», raconte-t-il. «Il a photocopié mes papiers, il m’a dit qu’il allait les vérifier à la préfecture. J’avais un peu peur, mais, dès le lendemain, il m’a dit qu’il me prenait.» Comme lui, les dix ont tous signé un contrat. En décembre, ils ont même voté aux prud’homales. Jusqu’à mardi, tous cotisaient pour les retraites et le chômage.

Pendant des mois, les vigiles ont travaillé sans rechigner. Oumar, l’un des dix interpellés, raconte les rondes interminables dans les rayons. La peur des braquages lors des transports d’argent. Ladji renchérit avec les heures supplémentaires, vivement «suggérées» par la direction. Les interpellations, parfois violentes, en cas de vol, avec les insultes et les menaces. Le tout pour moins de 800 euros net par mois. «Moins 76,76 euros, le premier mois, pour payer l’uniforme», précise Ladji. Qui envoyait la moitié de sa paye au Mali. A défaut d’une réforme du droit des étrangers, ils exigent désormais l’application du code du travail. Qui prévoit, même pour les travailleurs illégaux, un licenciement dans les formes et le versement des salaires dus. Mais il faudrait aller aux prud’hommes. «Si on est expulsés, comment on va faire pour faire respecter notre dernier droit ?» demande Ladji. Sa femme vit en France, elle non plus n’a pas de papiers. Il exhibe des radios. «Je peux pas la laisser seule. Elle est handicapée, elle a besoin d’une prothèse. Au Mali, ce genre d’opération est inenvisageable».

source : liberation.fr

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