COMITE D'ENTREPRISE

La crise de la Guadeloupe révèle le malaise de l'outre-mer

Les élus de Guadeloupe sont furieux. «  Pour la première fois », assurent-ils, l’image de leur île n’est plus associée à la Route du rhum, la célèbre course à la voile en solitaire.Alors que la crise sociale aux Antilles suscite un intérêt inhabituel en métropole, cet « oubli » de la Guadeloupe, dans la promotion de la traversée de l’Atlantique, est ressenti comme une nouvelle vexation, qui vient s’ajouter à l’annonce d’un possible désengagement du groupe Accor aux Antilles (Le Monde du 16 novembre).

En prélude au 85e congrès de l’Association des maires de France (AMF), ouvert, mardi 19 novembre, à Paris, les élus de Guadeloupe ont convaincu l’ensemble de leurs collègues d’outre-mer de la nécessité de réagir. Le congrès des maires des communes de l’outre mer a ainsi dénoncé, dans une motion adoptée samedi 16 novembre, « la campagne de déstabilisation de l’industrie touristique aux Antilles orchestrée par le groupe Accor » et « son chantage au départ ». Solidaires des professionnels du tourisme, les élus n’ont pas admis la mise en cause par la direction du groupe hôtelier des conditions d’accueil en Guadeloupe. « Il est vrai qu’il y a chez nous un climat social agité, beaucoup de chômage et de la délinquance, mais on a un peu diabolisé la situation », minimise Julien Chovino, maire communiste de Morne-à-l’Eau et président de l’association des maires de Guadeloupe.

L’ancien député (RPR) Philippe Chaulet, maire de Bouillante, est plus direct. « La vérité, c’est qu’après avoir bien sucé la poire, Accor menace de se retirer pour faire monter les enchères »,dit-il. Evoquant la concurrence, sur le marché du tourisme, de Cuba ou de Saint-Domingue avec les Antilles françaises, M. Chaulet assure même que « certains investisseurs anticipent sur la mort de Fidel Castro ».

Si plusieurs conflits sociaux – marins pêcheurs, entrepreneurs de transports de matériaux de construction, artisans taxis – sont venus émailler l’actualité ces derniers mois en Martinique, le climat social y est bien moins tendu qu’en Guadeloupe, où le syndicat indépendantiste UGTG – en conflit aujourd’hui avec Texaco – a profité des nombreux emplois créés par les communes.

En Martinique, le nombre de jours de grève a diminué de 91 % en quatre ans. Mise en place voici trois ans par les employeurs, les centrales syndicales et l’Etat, avec l’aide logistique de l’Institut national du travail de Lyon, pour moderniser le dialogue social en Martinique, l’Association régionale pour l’amélioration des conditions de travail a contribué à cet apaisement. Les pouvoirs publics envisagent d’ailleurs de créer une structure du même type en Guadeloupe.

En Guyane, une grève paralyse actuellement la grande distribution : à l’appel de l’Union des travailleurs guyanais (UTG), elle aussi indépendantiste, le personnel de trois supermarchés s’est mis en grève le 12 novembre, suite au licenciement d’un employé pour vol de marchandise, ce que le syndicat dément. Trois jours plus tard, le mouvement s’est étendu aux autres enseignes du groupe Cora, qui détient le quasi-monopole de la grande distribution en Guyane.

S’il est très variable d’un département à l’autre, le climat social dans les DOM est l’une des traductions de difficultés structurelles persistantes. Le quasi-monopole d’Air France dans la desserte aérienne a occupé, lundi 18 novembre, une grande partie de la réunion des maires de l’outre-mer. Unanimes, ceux-ci se plaignent des coûts élevés engendrés par l’insuffisance des liaisons aériennes.

La Guyane subit, en outre, un décalage entre sa forte croissance démographique et un retard en équipements, notamment de logements et d’écoles. « Nous courons après la démographie. Nous devons construire au moins un collège par an, mais nous ne recevons pas de l’Etat des dotations suffisantes pour y faire face », explique Alain Tien Liong, conseiller général (divers) chargé des affaires scolaires. Selon le rectorat, environ 1 000 enfants – beaucoup plus selon les syndicats d’enseignants – n’étaient pas scolarisés à la rentrée.

La dépendance vis-à-vis de l’extérieur est une autre source de difficultés, d’autant plus perceptible que les filières de production sont mal en point. En Martinique, le tourisme et la banane sont touchés, de même que le bâtiment : malgré les besoins en infrastructures et en équipements, les collectivités publiques n’investissent quasiment plus depuis deux ans. Résultat : les quelque 4 000 salariés officiels du secteur sont dans l’incertitude, avec des faillites en cascade.

Extrêmement dépendante du secteur spatial, qui représente un quart de l’emploi dans le département, 26 % du PIB et 65 % des importations, la Guyane voit ses productions locales accuser des baisses régulières : c’est le cas du bois guyanais, durement concurrencé sur le marché antillais par le bois brésilien, et de l’une de ses principales recettes à l’exportation, la pêche à la crevette, qui est tombée de 4 000 tonnes à un peu plus de 3 000 tonnes en moyenne annuelle.

En réponse aux inquiétudes exprimées par les élus sur la continuité territoriale, la ministre de l’outre-mer, Brigitte Girardin, est convenu qu’il y a « depuis le début de 2001, une dégradation de l’offre aérienne ». « Le passeport mobilité institué depuis l’été pour les jeunes constitue un premier pas vers la continuité territoriale », a-t-elle affirmé, en ajoutant que le gouvernement prendrait de nouvelles mesures en ce sens dans le projet de loi programme.

Ce texte, qui devrait être examiné par le Parlement début 2003, proposera notamment un nouveau système d’exonération des charges sociales lié à la création d’emplois, ainsi qu’une extension des mécanismes de défiscalisation. Mme Girardin a également rappelé qu’elle travaille, depuis septembre, avec le secrétaire d’Etat au tourisme, Léon Bertrand – ancien député de la Guyane -, à un plan de relance du tourisme outre-mer.

source : www.lemonde.fr

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