COMITE D'ENTREPRISE

Comment Renault joue de l'intérim pour éviter les plans sociaux

Sandouville (Seine-Maritime)  par l’envoyé spécial du Monde Michel Delberghe

Ils ont, sur le visage, la colère rentrée et la rancoeur discrète. Sur l’immense parking de l’usine Renault de Sandouville, tout au bout de la zone industrielle portuaire du Havre, personne ne songe à s’attarder à l’ombre des torchères du complexe pétrochimique.

   
 

La ronde d’une cinquantaine de cars de ramassage, des frontières de la Somme à celles du Calvados, sur un rayon de 50 à 80 km, n’attend pas.

Sur le coup de 13 h 08, le flux de l’équipe du soir est aussitôt remplacé par le reflux de l’équipe du matin, en poste depuis 5 h 25. Avec celles de nuit (21 h 50-5 h 25) et de jour (8 h-16 h 33), au total 6 300 salariés permanents et 1 700 travailleurs intérimaires se croisent invariablement, selon des horaires régis par la flexibilité des contraintes de production des trois véhicules haut de gamme de la marque : la Laguna, la Vel Satis et depuis peu la nouvelle Espace.

Qui et combien seront encore présents, à la mi-octobre, lorsque interviendra la nouvelle organisation du travail et des horaires ? Les regards se font fuyants tant que ne seront pas connus le détail et la liste des départs des quelque 900 intérimaires prévus dans le plan présenté par la direction lors de la réunion extraordinaire du comité d’établissement, le 11 septembre.

Cette annonce découle de la suppression de l’équipe de nuit, mise en place temporairement en juillet 2001, pour 1 100 salariés, dont 500 personnels Renault. Avec une compensation partielle de la prime de nuit, de 230 à 300 euros, ces derniers seront bien sûr reclassés. Mais sur des postes occupés, le jour, par d’autres intérimaires. Chez les équipementiers (Faurecia, Plastic Omnium, Allibert…), installés sur le site pour alimenter les chaînes en « flux tendu », les répercussions ne sont pas encore évaluées, parmi les 600 salariés concernés. Mais elles devraient aussi se traduire par des fins de contrats.

En cette date anniversaire symbolique, le projet est tombé comme un couperet. Mais il n’a pas provoqué de séisme. « Les intérimaires ne bougent pas, car ils craignent d’être sur la liste et les salariés de Renault espèrent retrouver une bonne place le jour, constate Lionel Lepage (CGT). Les gens sont blasés. Depuis le temps, ils ont l’habitude des coups d’accordéon, des périodes de bourre avec beaucoup d’intérimaires suivis de coups d’arrêt. On sait bien qu’on ne peut plus produire pour stocker sur des parkings », relève un militant de FO occupé à distribuer des tracts, dans une indifférence polie, pour les élections des représentants salariés au conseil d’administration.

« Ce n’est pas un arrêt brutal, mais un accident de parcours », note Alain Gabillet, le directeur de l’usine. Il invoque les incertitudes économiques, le ralentissement du marché qui affecte essentiellement la Laguna (80 % de la production), les débuts difficiles de la Vel Satis (60 véhicules par jour au lieu de 200 prévus), et l’attente de la commercialisation de l’Espace. Il y a quelques années encore, les constructeurs recouraient massivement à des plans sociaux pour faire face aux aléas des marchés automobiles.

« LOGIQUE BRUTALE »

« C’est vrai, nous appliquons la logique brutale de l’intérim et de la précarité. Mais cette souplesse nous permet de sauvegarder l’emploi permanent », assure M. Gabillet, en ajoutant qu‘ »un contingent de 1 700 intérimaires pour 6 300 salariés, c’est beaucoup trop et cela commençait à devenir ingérable ». Un grand nombre de ces contrats étaient, selon lui, arrivés à échéance avec la fin de l’installation des nouveaux modèles, des programmes de formation et surtout du « coup de collier » pour la sortie de la nouvelle Espace, début septembre, juste avant le Mondial de l’automobile. Pour cela, la direction n’avait d’ailleurs pas hésité à recourir à des volontaires pour une semaine supplémentaire en août.

Outre des effets sur l’intérim, l’arrêt du travail de nuit provoque d’autres incompréhensions. Pour maintenir une production de 1 300 véhicules par jour, la direction imposera une heure de travail supplémentaire à la fin de l’équipe du soir. Une heure « capitalisée » au titre de l’annualisation des horaires. Les salariés, eux, comprennent mal cette logique. En septembre, les équipes du matin et du soir ont été mises à l’arrêt les vendredis, même si la semaine leur a été intégralement rémunérée. En octobre, la suppression des emplois va les obliger à travailler plus.

« En contrepartie de la pérennité du site et des investissements cinq milliards de francs [760 millions d’euros] en trois ans , un effort important sur la variabilité des horaires a été consenti, avec un plan d’embauches à la clé », souligne M. Gabillet, qui reconnaît que « la flexibilité s’est désormais banalisée » depuis la signature, en 1997, d’un accord antérieur à l’application de la loi Aubry, non signé par la CGT et la CFDT.

A Sandouville, le programme d’embauches a été relancé environ 1 200 depuis cinq ans après des vagues de licenciements. Avec la promesse de recrutements supplémentaires en prévision des départs à la retraite, l’organisation industrielle utilise désormais toutes les ressources de l’aménagement du temps de travail. Le système prévoit un crédit de onze jours de congés supplémentaires, dont six à la disposition de l’entreprise pour faire face aux aléas de la conjoncture. « Au lieu de supprimer les emplois, la direction aurait pu ralentir les cadences pour améliorer la qualité et éviter de devoir stocker des milliers de véhicules en attente de retouche », rétorque Alain Richeux, délégué CGT.

La décision de Renault est d’autant plus mal ressentie que la situation de l’emploi au Havre et à Fécamp s’est détériorée. Sans doute, la direction a-t-elle promis de ne pas se désintéresser du sort des intérimaires en proposant un suivi auprès de l’ANPE ainsi que des reclassements éventuels chez les fournisseurs, sur les sites du groupe et, pour certains d’entre eux originaires du Nord, à Douai pour le démarrage de la nouvelle Mégane. Une hypothèse rejetée par Frédéric Jarry (CGT), qui espère encore des solutions locales : « Pour les jeunes, issus des quartiers difficiles, trouver un boulot représentait une bouffée d’oxygène… »

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