COMITE D'ENTREPRISE

Patrons et salariés grincent des dents

«Une loi mal foutue». La loi de modernisation sociale (LMS), et sa réforme ambitieuse du licenciement économique, dernière oeuvre d’Elizabeth Guigou au ministère du Travail semble avoir du mal à passer l’épreuve de la pratique. Elle est effective depuis le 17 janvier. Mais ses dispositions sur la rupture des contrats de travail, qui ne sont qu’un aspect de ce texte fourre-tout, a du mal à s’imposer. Certaines entreprises, désireuses de contourner une législation qu’elles trouvent trop lourde, inventent des méthode d’évitement qui pénalisent encore plus les salariés menacés de licenciements. Aujourd’hui, le destin de cette loi est incertain. François Fillon a déjà prévu d’enclencher sa réforme «rapidement». La loi, mal fichue mais à vocation protectrice, serait alors détricotée.

La loi Guigou rend les licenciements plus complexes. Pour les directions d’entreprises, des conditions supplémentaires sont désormais à prendre en compte. Le plan social, baptisé «Plan de sauvegarde de l’emploi» ne peut être élaboré que si les 35 heures ont été négociées. Et les licenciements ne peuvent s’enclencher que si «tous les efforts de formation et de reclassement» ont été entrepris. Un congé de reclassement est créé, un pré-Pare qui permet de ne pas rompre immédiatement tout lien avec l’ancien employeur. Sans compter que l’indemnité légale de licenciement est doublée. Ce volet de la LMS a plutôt satisfait les spécialistes des reclassements et les partenaires sociaux, qui n’ont de cesse de dénoncer la «prime valise» que pouvaient toucher les salariés licenciés et n’assurait aucune garantie de formation. L’entreprise qui licencie se voit obligée de suivre ses anciens salariés et doit mettre à leur disposition des moyens. «Certaines entreprises pratiquaient déjà sérieusement le reclassement, explique un expert auprès des CE. La loi, dans bien des cas ne fait qu’institutionnaliser des bonnes pratiques.»

Le pouvoir du CE. Le volet d’information des représentants du personnel de la loi fait grincer les dents des patrons. Le Comité d’entreprise (CE) doit être informé avant toute annonce publique sur des mesures «de nature à affecter de manière importante les conditions de travail et d’emploi.» Certaines entreprises n’admettent pas cette «ingérence» des partenaires sociaux dans ce qu’elles peuvent considérer comme de la «gestion courante de l’entreprise.» Résultat, les contentieux se multiplient comme chez Alcatel ou Yves-Saint-Laurent. Mais la mesure qui semble la plus problématique est celle qui prévoit la «non concomitance des procédures de consultation des livres IV et III». En clair, syndicats et direction qui négocient un plan social doivent boucler l’étude des conditions économiques avant de passer au volet social des licenciement. Le CE a le droit, de faire nommer un expert pour étudier la situation économique de l’entreprise et de formuler des propositions alternatives. «Certains syndicats s’en servent pour faire de l’obstruction, explique une déléguée CFDT dans la métallurgie qui négocie un plan social concernant plus de 400 personnes. Ils bloquent la procédure et font traîner les choses. Franchement ce n’est bon pour personne.» Certains experts, craignent un rallongement des procédures de négociation des plans sociaux. «Les gens n’ont qu’une hâte, être fixés sur leur sort, explique un DRH. Quand on traîne au livre IV, les gens dépriment.» Le recours a un expert comptable pour éplucher la comptabilité de l’entreprise pose aussi de nombreuses questions. «Notre groupe est américain, confie un syndicaliste d’une entreprise de télécoms. Quand les documents finissent par être envoyés, ils sont en anglais et l’expert est aussi perdu que nous…»

Menace du dépôt de bilan. Alors pour raccourcir les délais certaines directions d’entreprises sont en train d’inventer une parade maximaliste : le dépôt de bilan. «Dans certaines boites les patrons font pression sur les CE pour qu’ils accélèrent la procédure, sinon ils menacent de mettre l’entreprise en faillite et de déposer le bilan», explique Sylvaine Bossé de la CFDT du Cher. «La loi a été faite pour de grandes entreprises, en période de croissance, affirme le DRH d’une entreprise d’électronique qui doit supprimer près de 50 % de son effectif. Les grosses PME comme la mienne n’ont pas la surface financière pour supporter des procédures trop longues. Les pertes s’accumulent, alors même qu’un plan social devait permettre de faire baisser les charges et sauver des emplois.» Contre cet écueil du rallongement des procédures et de leur blocage, la loi avait prévu la nomination d’un médiateur. Chez Aventis Pharma, à Romainville, les salariés espéraient beaucoup de la nomination du médiateur pour éviter le démantèlement de leur site. Mais le décret qui devait officialiser la liste des médiateurs potentiels n’a jamais été publié par le ministre des Affaires sociales, François Fillon. Manière de dire que la LMS serait bien une loi éphémère.

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