COMITE D'ENTREPRISE

La médiation préventive pour le dialogue social

La réussite de cette « médiation préventive » connaît un certain retentissement. Dès 1995, une délégation française se rend au Québec, dans le cadre d’un jumelage entre les ministères du travail des deux pays. Composée de représentants des services du travail et de l’emploi, du patronat, des syndicats, du conseil régional Rhône-Alpes, du réseau Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail), avec l’association régionale Aravis (Agence Rhône-Alpes pour la valorisation de l’innovation sociale et l’amélioration des conditions de travail), la délégation française a pour mission d’observer les démarches mises en oeuvre par des entreprises québécoises pour améliorer le dialogue social.

Objectif : expérimenter en France la méthode de médiation préventive, en oeuvre depuis 10 ans au Québec. La CFDT, avec Jean-Paul Peulet, fait partie de la mission. « La situation politique, économique et syndicale au Québec est très différente de celle qui prévaut en France. La puissance des syndicats fait rêver les syndicalistes que nous sommes. Mais le système économique est 100 % américain. Il n’y a pas de paradis, l’important, c’est de connaître les bonnes expériences pour s’en inspirer. » Et le secrétaire confédéral, chargé des conditions de travail, de rassurer : « C’est une démarche qui ne viendra jamais se substituer à celles des équipes syndicales ».

Pour preuve, l’une des conditions sine qua non pour mettre en place l’intervention est fondée sur l’existence dans l’entreprise d’organisations syndicales et d’un accord préalable des parties, direction et syndicats. D’autre part, il s’agit uniquement d’intervenir sur le conflit relationnel. Daniel Xirau, chargé de mission à l’Anact, insiste : « Pas question de rentrer dans un conflit d’intérêt, schéma classique de la plupart des négociations ». Il peut paraître alors difficile dans certains contextes de démêler ce qui touche au contenu des négociations de ce qui relève du relationnel. « Non, affirme-t-il, car l’impasse relationnelle se reconnaît dans l’impossibilité pour les parties de poser les problèmes sur la table, d’en parler, voire de les nommer. Elle s’exprime aussi par une grande utilisation du formalisme et du juridisme, trop d’échanges de courrier, trop d’actions devant les prud’hommes et de recours répétés à l’inspection du travail, et parfois par des affrontements de principe, bien éloignés du contenu. »
Dans tous les cas, reconnaît Jean-Paul Peulet, « non seulement le dialogue ne passe plus, mais la chance de traiter un problème de fond devient aléatoire ». Pour Michel Perron, directeur adjoint du Travail à la DDTEFP (Direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle) de la Loire, « l’incompréhension, sur fond d’accélération du travail et de turn-over, d’absentéisme, voire d’accidents du travail, masque aussi la souffrance des salariés, éloignés des décisions qui se prennent au sommet. Des salariés qui ne se sentent pas considérés ».

Appui au dialogue social.
La démarche ainsi rebaptisée est donc lancée en France en 1996, pilotée conjointement par le ministère du travail et l’Anact. Tout d’abord en région Rhône-Alpes, en Auvergne, et depuis lors en Lorraine et en Haute-Normandie.
Chacune des deux parties, direction et syndicats, peut faire appel au dispositif, et c’est parfois l’inspection du travail elle-même qui le leur suggère. L’équipe d’intervenants réunit plusieurs compétences: chargés de mission du réseau Anact, inspecteurs du travail qui agissent alors hors de leur zone de contrôle, et consultants spécialisés dans les relations sociales. Deux intervenants sont nommés pour représenter chacune des parties. C’est le « binôme de facilitateurs » du dialogue social. A ce jour, le bilan quantitatif reste modeste : 21 binômes d’intervention, 30 entreprises demandeuses, dont un tiers qui ne sont pas allées plus loin que les contacts préliminaires. Mais partout où la démarche a été menée à son terme, elle a permis de renouer les fils du dialogue, là où tout était bloqué. C’est le cas en Haute-Savoie. Après l’Impérial Palace d’Annecy, c’est au tour de l’entreprise Fournier Habitat, qui exploite depuis 1948 la marque Mobalpa, de recourir à cette nouvelle forme d’accompagnement des acteurs sociaux.

Les passeurs du dialogue social chez Fournier Habitat, à Thônes. Ils interviennent en janvier 2001. Après la création en 1994 de la section CFDT, les premières grèves à partir de mai 1995 et les premières avancées sociales obtenues, le climat se durcit à nouveau chez Fournier Habitat. Un durcissement dû en grande partie aux nouvelles formes d’organisation de travail et de management, et au développement de la société. L’entreprise familiale, reprise par les trois fils Fournier en 1993, est devenue le leader français de la cuisine avec un milliard de francs de chiffre d’affaires. En cinq ans, elle est passée de 500 à 800 salariés permanents, plus 100 intérimaires. Par ailleurs, l’arrivée dans l’entreprise de la CFDT, aujourd’hui largement majoritaire, aura sûrement été « vécue comme un coup de force » par la direction, souligne le jeune délégué syndical, Eric Lafrasse. Tandis que de leur côté les syndicats voient un rival dans la personne du DRH. Quant au premier dossier syndical sur la RTT, proposé en 1997, il inaugure en réalité près de trois ans de discussions intenses et quatre jours de grève. Blocage des négociations, agressions verbales de part et d’autre, saisines régulières de l’inspection du travail. Ambiance…

Les 35 heures se mettent finalement en place, mais les « blessures » ne se referment pas. La CFDT, qui avait déjà en 1997 sollicité un diagnostic d’appui au dialogue social, réitère sa demande. Cette fois-ci, la direction accepte. A la suite des rencontres préliminaires, Michel Perron, de la DRTEFP rhônalpine, et Yves Jorand, consultant, proposent le recours à la méthode dite du « séminaire en relations de travail ». Au départ, le rappel des règles de « bonne conduite » permettant d’éviter les parties de « ping-pong » laisse septique. « Comment respecter le temps de parole de l’autre, s’exprimer posément et sans arrière-pensées, rester sincère en énonçant des choses qui ne peuvent que déplaire? Comment être tout cela, jouer son rôle syndical et rester mesuré ? » s’interroge l’équipe CFDT. Question d’équilibre, répondent les deux intervenants. Aujourd’hui, à l’heure du bilan, les avis restent partagés, côté syndical. Pour Benoît Bengrine et Bernard Guiguittant, respectivement délégué du personnel et secrétaire du CHSCT, « le dispositif a seulement permis de calmer ponctuellement le conflit, mais le syndicat continue d’être diabolisé ». En revanche, Nicole Legon et Eric Lafrasse notent une réelle amélioration des relations. Avec le dispositif, constate la déléguée du personnel, « la direction a compris le rôle des syndicats ». « On portait les dossiers avec émotion, et donc, en cas de désaccord, le conflit éclatait très vite, confie le délégué syndical. Aujourd’hui, on peut se parler normalement, ne plus penser en termes de mise à genoux de l’autre, tout en gardant à l’esprit la vocation des syndicats à porter les revendications des salariés. » Les passeurs du dialogue social sont passés par là !

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