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La réforme de la justice présentée sous le feu des critiques

L’analyse, froide et argumentée, tranche par sa sévérité : dans un avis rendu public mardi 16 juillet, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) formule des « observations » très critiques sur le projet de loi d’orientation et de programmation de la justice qui devait être présenté, mercredi 17 juillet en conseil des ministres, par le garde des sceaux, Dominique Perben. Le texte, qui instaure une justice de proximité, réforme l’ordonnance de 1945 sur l’enfance délinquante et aménage la procédure pénale, est passé au crible par la CNCDH, qui « s’étonne » de certaines dispositions, les jugeant « insuffisantes » voire « contestables ». La CNCDH déplore particulièrement l’orientation du projet de loi concernant la justice des mineurs, qu’elle juge en contradiction avec les principes de la Convention internationale des droits de l’enfance. La chancellerie a indiqué qu’elle « prenait acte » d’un avis qui ne s’impose pas à elle.

Organe consultatif auprès du premier ministre et réunissant les associations de défense des droits de l’homme et des personnalités qualifiées, la CNCDH, présidée par le conseiller d’Etat Alain Bacquet, résume le sentiment exprimé successivement par la Défenseure des enfants, le Conseil d’Etat et des organisations professionnelles d’éducateurs, de magistrats et d’avocats (Le Monde du 17 juillet). Elle reprend nombre des critiques déjà formulées envers la justice de proximité, qualifiée de « sous-justice » par les deux principaux syndicats de magistrats. Elle « s’étonne que la voie choisie pour assurer cette justice de proximité, qui doit aussi être une justice de qualité, soit celle du recours à des juges non professionnels exerçant à temps partiel ».

Comme le Conseil d’Etat, la CNCDH estime que la création d’une justice de proximité nécessite le recours à une loi organique, et non à une loi simple comme l’est la loi de programmation (Le Monde du 13 juillet). Elle estime qu’en l’état les « éléments statutaires » prévus par la chancellerie pour ces juges, qui seront désignés par les magistrats du siège et du parquet des cours d’appel, sont « insuffisants et parfois contestables ». Dans ces conditions, la Commission « s’inquiète de voir confier le jugement d’affaires pénales à des juges non professionnels » – juges de proximité pour le siège et délégués du procureur de la République pour le parquet.

« REMISE EN CAUSE INJUSTIFIÉE »

« Plus contesTABLE encore » aux yeux de la Commission est l’attribution aux juges de proximité d’une compétence pénale à l’égard des mineurs de 13 à 18 ans. La CNCDH se déclare « très opposée à ces dispositions qui permettraient d’écarter, à la seule initiative du ministère public, la compétence du magistrat professionnel qu’est le juge des enfants ». Estimant que les juges de proximité « ne seront probablement jamais des experts du champ de l’enfance », elle décèle « un risque sérieux de démantèlement du rôle du juge des enfants et de désarticulation du travail global des acteurs de la protection de l’enfance ». Or la Commission estime « grave et injustifiée cette remise en cause » de la spécialisation de la justice des mineurs, qui constitue l’un des « principes essentiels » de l’ordonnance de 1945 sur l’enfance délinquante. Elle explique que le projet heurte les principes de la Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la France, qui prévoit « la mise en place d’autorités et d’institutions spécialement conçues pour les enfants suspectés, accusés ou convaincus d’infractions pénales ». La Commission désapprouve d’ailleurs la quasi-totalité des dispositions réformant le droit pénal des mineurs. Plusieurs d’entre elles – placement en détention provisoire des mineurs de 13 à 16 ans, jugement à délais rapprochés – « sont de nature à aggraver la tendance actuelle à l’incarcération des mineurs ». Là encore, la Commission souligne les contradictions entre les projets du gouvernement et la Convention internationale des droits de l’enfant, qui dispose que l’emprisonnement d’un mineur doit n’être « qu’une mesure de dernier ressort et d’une durée aussi brève que possible ». « L’emprisonnement des mineurs est lui-même criminogène, souligne par ailleurs la CNCDH, ce que démontre le très fort taux de récidive après détention. »

Plus généralement, c’est la philosophie même du projet qui est sujette à caution, selon la Commission. « Si la réponse pénale, et même carcérale, est parfois indispensable, il reste vrai que s’agissant de la délinquance des mineurs, la réponse éducative est, de loin, celle qui peut changer réellement et durablement le comportement du mineur, explique-t-elle. Or l’avant-projet de loi fait peu de place à ces considérations et ne prévoit pas de mesures visant concrètement et directement à renforcer et améliorer ce qui devrait l’être dans le domaine éducatif. » La CNCDH reste ainsi dubitative sur le projet de création de « centres éducatifs fermés », estimant qu’il « n’est pas dépourvu d’ambiguïté quant à la vériTABLE nature de ces établissements ». Demandant au gouvernement de « clarifier le statut de ces centres, afin que la détention ne se dissimule pas sous l’éducation », elle estime que leur succès dépendra de « la volonté gouvernementale d’allouer des moyens véritablement exceptionnels au suivi éducatif et pédagogique » des jeunes qui y seront placés.

Enfin, la CNCDH « regrette » que nombre de dispositions modifiant le code de procédure pénale « reviennent sur d’intéressantes innovations » de la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence, ce qui risque « fort d’atténuer la portée de ce principe et de stopper les efforts laborieusement entrepris depuis plusieurs années pour réduire l’ampleur de la détention provisoire ». Ces dispositions, comme l’ensemble du projet font craindre à la CNCDH « une augmentation sensible des décisions de placement ou de maintien en détention provisoire alors qu’il est de notoriété publique que les maisons d’arrêt sont surpeuplées et que les conditions de détention s’y dégradent. »

Les principales mesures envisagées

Le projet de loi d’orientation et de programmation sur la justice, qui prévoit un budget de 3,65 milliards d’euros de 2003 à 2007, comporte trois volets.

Justice de proximité. 3 300 « juges de proximité », magistrats non professionnels, devraient être recrutés. Ils seront compétents pour régler, au civil, « les litiges de la vie quotidienne » et, au pénal, les petits délits, commis par les majeurs mais aussi les mineurs. Il faudra au gouvernement une loi organique pour régler leur statut.

Justice des mineurs. Le projet crée des « centres éducatifs fermés » où seront placés des mineurs de 13 à 18 ans, dans le cadre d’un contrôle judiciaire ou d’un sursis avec mise à l’épreuve. En cas de non-respect du contrôle judiciaire, le mineur pourra être placé en détention provisoire, et ce dès 13 ans. Le projet prévoit des « sanctions éducatives » pour les 10-13 ans et « le jugement à délai rapproché » des mineurs multirécidivistes.

Procédure pénale. Le projet modifie les conditions de placement et de durée de la détention provisoire, en revenant sur certaines des dispositions de la loi sur la présomption d’innocence du 15 juin 2000. Il étend également la comparution immédiate aux délits encourant jusqu’à dix ans d’emprisonnement.

source : www.lemonde.fr

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